Hercule
Il avait pour surnom Carnéra. (eu égard à sa ressemblance avec le boxeur Primo Carnéra aux formes généreuses et à la force inouïe)
Et tel il apparaissait au premier œil, une sorte d’Hercule.
C’était le roi des jardiniers.
Son lopin, au fond du terrain caché par le verger, longeait le petit ru qui lui était très utile pour abreuver copieusement ses légumes.
Derrière un grillage désuet, il élevait aussi des poules, dont les œufs s’ils n’étaient pas d’or, étaient très appréciés pour nourrir sa grande famille d’affamés.
Tôt le matin dans la petite cahute qui lui servait de réserve pour toutes sortes de choses, ses outils, ses récoltes, son tonnelet (dont je reparlerais), aux aurores donc, il chaussait ses sabots, remplis de paille en guise de chaussettes, et descendait au jardin, calmement, méditant surement, vers son petit domaine.
Et selon les saisons, il bêchait, semait arrosait ou récoltait. Mais à n’importe quel moment de l’année, il peaufinait ses allées très droites, éliminant les herbes envahissantes.
Lorsqu’il avait fourni un effort pénible pour son dos rhumatisant, il se redressait en arrière, maintenant ses mains calleuses au niveau des reins, et laissait sortir de sa poitrine un souffle très puissant.
Il redressait son béret, le prenant entre pouce et majeur, guidant le geste de l’index pour lui donner une forme de pliure .Ce geste si répété avait transformé le feutre qui semblait maintenant être devenu cuir,
Son ventre rebondi de gros mangeur surplombait son pantalon qui était retenu par une ficelle pour ne pas choir.
Dans son domaine pas n’importe quelles semences, des anciennes, rien à voir avec celles hybridées de notre époque.
Des pommes de terre vraies de vraies, Fin de Siècle- Bintje, Ratte. Il fallait toujours que le tubercule provienne d‘une altitude plus haute, allez savoir pourquoi .Ils étaient mis précautionneusement en terre, pas avant Pâques dans notre région, les germes respectueusement et délicatement dressés vers le haut.
Il y avait aussi les cardons, avec leur couverture de kraft en hiver, les rutabagas, dont nous les gamins n’étions pas friands, et ces énaurmes courges courant tout azimut.
Lorsqu’il avait terminé, vers les midis, il remontait au même pas, ses légumes dans un brouette bancale, et les stockaient dans sa cahute. Je le revois, pesant sur la Roberval les produits de son jardin,
Il y avait dans ce petit appentis fermé par un claustra, un calendrier lunaire qui trônait, insolite.
Lune montante- lune descendante, nous les enfants ne comprenions pas grand-chose, et lorsqu’on l’interrogeait, il répondait d’une voix bougonne :
« Mais qu’est-ce qu’on vous apprend à l’école ?? »
Après avoir inscrit les poids de ces récoltes sur de vieux papiers d’emballages, avec un crayon mine qui demeurait en permanence dans ce frais endroit, il s’octroyait la permission d’un petit remontant. Dans le tonnelet, en effet il y avait une piquette, élaborée par lui-même avec les raisins de la treille de son balcon, loggia assez vaste pour maintenir une vieille vigne généreuse, qui nous ombrageait de surcroit en été.
Cependant de la vigne c’est le seul avantage que nous tirions, les raisins étaient interdits pour nos papilles.
Tel était mon grand père maternel, né à la fin du 19ieme siècle.