Coup de folie sur le jardin
Bully le jardinier est à son affaire.
Ses sabots résonnent sur les allées, le chat qui se prélasse, le nez campé sur ses pattes, ouvre un œil circonspect. Le clic-clac a dissipé son rêve de courses avec les mulots autour l’enclos.
Le jardin enfin s’éveille doucettement à la chaleur du soleil.
Zébus, depuis une semaine règne partout.
Le peuple animal, lombrics, abeilles moucherons, ainsi que le monde de la végétation. , tous, enfin dégourdis de l’hibernation captive, tambourinent à deux mains, comme pour applaudir.
Le persil fraichement semé, essaye de poindre en verdoyant un peu avant sa grande frisure
Les feuilles des carottes s'échevèlent sur leur tige en offrant une
odeur de racine et se dressent fières et vives.
Les stipules des pois, aux volutes bien vertes, amorcent une belle grimpette sur des bâtons plantés en quinconce.
Tout le jardin rayonne de verts tendres et lumineux que l’aquarelliste baptise de noms mystérieux: vert phtalo, vert perylene , vert de vessie, de Hocker, vert Viridian… verts qui font chanter les couleurs
Ce tableau là. c’était hier, et Bully l'appréciait à chaque moment
Mais aujourd’hui Bully le jardinier geint dans sa barbe en hoquetant .
Ses sabots glissent sur la glaise envahissante.
Minou n’est plus là. Il a regagné en catimini le havre accueillant de l’intérieur, en abandonnant Bully, il s'est sauvé là où sa maitresse a allumé un grand feu de brindilles.
Le jardin pleure en silence, Il offre un paysage lunaire, anéanti par la mini-tornade qui l’a surpris cette nuit. Et un gel sournois a parachevé le désastre.
Les feuilles des carottes sont à terre écartelées, fanées, hachées
Les petits pois agonisent, leurs feuilles en oreilles de lapins sont toutes déchiquetées
Les allées sont grisâtres, envahies par la boue délavée, comme chamottée de sable.
Ce tableau là c’est aujourd’hui et Bully le constate.
Les saints, ceux que les jardiniers nomment de glace, aidés par une dépression atmosphérique –c’est ce qu’a dit la ‘ TSF ‘de Bully -, se sont tous alliés en un coup de folie.
Mais Billy le jardinier, est un véritable philosophe Il sait comment sursoir à son désespoir.
Aujourd'hui s’il sanglote, dans un coin de son être, il sait qu’hier il a eu raison de saisir, louer, engrainer ce moment vécu dans l’instant.
Il a si bien sut glaner ces moments uniques, que cela l’aide à supporter l’instant cruel présent.
Pour s’affranchir des coups d’éclats rien ne vaut une bonne réserve de moments magiquement engrangés
« Il faut savoir tout apprécier à chaque seconde, parce que tout peut s'effondrer à chaque seconde »